Ce Vendredi a eu lieu la traditionnelle (mais non moins prestigieuse) remise des diplômes de l'Ecole Polytechnique : les masters et doctorants le matin, et les ingénieurs l'après-midi. Comme d'habitude, l'AMiX (Association des Masters de l'X, comprenant environ 250 membres, et dont j'en suis le responsable) doit faire une intervention de très exactement trois minutes au nom des élèves-masters. L'Ecole pousse la précision un peu plus loin, car chaque élève diplômé doit se lever, prendre son diplôme et se rassoir en très exactement 17 secondes, et ce n'est pas une blague ...
Ces trois minutes doivent ainsi servir à l'AMiX pour se présenter, expliquer son rôle, ses souhaits, remercier (et c'est sincère) tout le personnel de l'Ecole qui est vraiment adorable, et enfin exprimer sa fierté de voir la 5e promotion de master diplômés. Pour vous dire que ces trois minutes sont très largement remplies.
Sauf qu'il y a eu un léger imprévu. Deux jours avant, je reçois un mail d'un doctorant diplômé ce jour là, exprimant son indignation du fait de la présence de l'ambassadeur de la République Islamique d'Iran. Comme on dit communément : mes bras me sont tombés des mains. Comment la plus prestigieuse des écoles françaises, dont certains de ses anciens élèves ont été des résistants, apprenant à ses élèves les valeurs de tolérance et de respect mutuel, peut accueillir le représentant d'un pouvoir niant toutes ces valeurs ? De plus, de part mon histoire et ma confession je trouvais l'idée de devoir parler devant un tel énergumène vraiment insupportable. Comment mon école a pu faire cela ?
La coutume veut que l'Ecole invite toutes les ambassades des étudiants étrangers diplômés, et il se trouve que celle d'Iran a accepté. Sauf que certaines années, l'Ecole a "oublié" certaines ambassades, je me suis vraiment demandé pourquoi cette année on n'a pas oublié l'Iran ! pourquoi pas accueillir la Corée du Nord finalement ...
J'ai donc commencé à envoyé des mails à l'administration (au directeur de cabinet du Général, au directeur des programmes masters, etc ...) pour exprimer "ma gêne, pour ne pas dire plus" du fait de la présence de cet ambassadeur. J'ai été ravi de voir que tout le monde me soutenait et qu'ils étaient aussi dérangés que moi de sa venue, à des degrés divers. Je tiens à rappeler qu'un ambassadeur, même s'il représente son pays, est nommé par le pouvoir en place et n'arrive jamais par hasard. J'ai ainsi décidé d'inclure une pointe dans mon intervention pour exprimer mon indignation.
Il faut savoir que cette intervention se fait devant les ambassadeurs, tout le corps enseignant, tous les grands responsables de l'Ecole, ainsi que les parents d'élèves ... l'amphithéâtre Poincaré de 1000 places est bondé. Et en plus c'est la première fois que je faisais l'expérience d'exprimer ma réprobation devant tout un public, et je dois dire que ce n'est pas un exercice facile.
J'ai donc glissé cette phrase, qui n'a strictement rien à voir avec ce que je suis censé dire :
dans un monde parfois animé par la haine et l'oubli, il est bon de trouver des lieux tel que l'Ecole Polytechnique où des étudiants de toutes origines et de toutes nationalités peuvent se rencontrer autour des valeurs de la connaissance, de la tolérance et du respect mutuel
Au départ je voulais être un peu plus dur, mais un professeur m'a prévenu du risque que l'ambassade dissuade les étudiants iraniens de venir chez nous; et que mon but n'est pas de priver les étudiants iraniens "de nos lumières".
La cérémonie s'est en tout cas très bien passé, et j'ai été particulièrement fier de mon Ecole car chaque intervenant a exprimé son indignation du fait de la présence de l'ambassadeur iranien, et on sentait que l'X n'était pas ravie de cette présence. Un professeur s'est d'un seul coup mis à parler de l'oubli, un enseignant de biologie (médaille d'or du CNRS) a parlé d'armes biologiques, du devoir que le monde et surtout de ses dirigeants ont d'être raisonnable, etc ...
Ma professeur, qui remettait donc les diplômes pour la promotion au-dessus de moi, m'a glissé à l'oreille quand je me suis rassis : "tu as bien parlé"
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